1. UNE NOUVELLE PLAINTE
KARACHI: LE COMBAT DES SURVIVANTS CONTRE L'ETAT
Le Monde, Patricia Jolly, 04.01.2012
"Le Redoutable, Le Terrible, Le Foudroyant, L'Indomptable, Le Tonnant, L'Inflexible… Gilles Sanson, 50 ans, conte avec passion l'épopée de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins.
Mécanicien-usineur à la direction des constructions navales (DCN devenu DCNS en 2007) à Cherbourg, il a fièrement contribué à les équiper pendant trente-deux ans. En octobre 2011, pourtant, ce tout récent retraité du ministère de la défense et cinq de ses anciens collègues ont porté plainte pour "coups et blessures involontaires" contre leur ancien employeur.
Ils estiment la DCN responsable de l'attentat qui a failli leur coûter la vie alors qu'ils assuraient, au printemps 2002, la formation d'ouvriers pakistanais dans le cadre du contrat de vente de trois submersibles Agosta 90 passé entre la France et le Pakistan dans les années 1990 pour 825 millions d'euros. A partir du 10 janvier, ils seront auditionnés par la police à ce sujet dans le cadre d'une enquête préliminaire. En 2004, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche avait condamné la DCN pour "faute inexcusable de l'employeur".
Ils étaient 23 ouvriers d'Etat français envoyés dans le cadre d'un "transfert de compétence" dans une base navale de Karachi quand, le 8 mai 2002 à 7 h 45, une bombe a pulvérisé le bus qui les emmenait au chantier. Onze d'entre eux sont morts, les douze autres ont survécu, grièvement blessés. Qui a commandité l'attentat? Pourquoi? Après presque dix années d'enquête, Gilles Sanson, Claude Etasse, 62 ans, Gilbert Eustache, 60 ans, Jérôme Eustache, 40 ans, Frédéric Labat, 42 ans et Christophe Polidor, 45 ans, n'ont que des hypothèses pour réponse. Mais ils ont le sentiment d'avoir été trahis et sacrifiés. Ce jour-là, Gilles Sanson est le seul à n'avoir pas perdu connaissance. Il est devenu leur porte-parole.
Reportage France3 Basse Normandie sur Gilles Sanson:
Pour ces missions de cinq à neuf semaines, ils étaient tous volontaires. "Au-delà de l'aspect financier –on gagnait dans ces périodes deux fois et demi nos salaires d'ouvriers –, raconte M. Sanson, la transmission de notre savoir-faire et la confiance qu'on plaçait en nous étaient gratifiantes." Chaque départ de Cherbourg s'accompagnait d'un couplet de la hiérarchie: "Messieurs, vous représentez la France." Maintien de militaire, ceinture noire de judo, coureur à pied émérite, Gilles Sanson y croyait dur comme fer. Entré à 17 ans à la DCN – principal employeur de sa région –, ce fils d'électricien et de femme de ménage se trouvait chanceux. "C'était une réussite, le gage d'un avenir sûr", se souvient-il.
A Karachi, où il effectuait en mai 2002 sa quatrième mission, la vie était rythmée par les horaires du chantier – de 8 heures à 16 heures sauf les vendredis après-midi et les dimanches – dans une chaleur souvent caniculaire. Et puis l'hôtel, sa piscine et sa table de ping-pong et parfois une sortie, en groupe, à la galerie marchande de l'hôtel Sheraton tout proche. "Nous n'avions aucune relation avec nos collègues pakistanais une fois la journée terminée", explique M. Sanson. Sa seule crainte? Se blesser sur le chantier. "A cause du niveau sanitaire du pays", dit-il.
Le 8 mai 2002, le dernier de ses 22 collègues embarque dans le bus gris à bande de couleur vive, au sigle de la marine pakistanaise, et avec un garde armé, quand Gilles Sanson sent sa tête "tripler de volume": "Il y a eu comme une boule de feu, j'ai décollé de mon siège puis mes jambes et mon bras gauche étaient cassés." Dans l'ambulance, on l'a assis par terre. Sur l'unique brancard gisait déjà le corps d'une mendiante que les ouvriers voyaient chaque matin. "Sa tête était gonflée comme si on avait utilisé une pompe à vélo, dit M. Sanson. Je revois sa paume ouverte, dans laquelle je n'ai jamais su glisser une pièce de monnaie, tomber et retomber sur moi." A l'hôpital, ils ont été parqués tous ensemble : morts, agonisants et survivants. Puis les blessés ont été rapatriés trente-six heures après l'attentat et répartis dans les hôpitaux militaires franciliens. Les onze cercueils, déjà scellés, n'ont atterri à Cherbourg que plus tard.
Une douloureuse et insidieuse scission s'est alors opérée entre rescapés et familles de défunts. "Nous étions toujours hospitalisés loin de Cherbourg, mais vivants, lors de l'hommage national qui a été rendu aux copains le 13 mai 2002 en présence du président Chirac, rappelle M. Sanson. Cette rupture a fait le jeu de la DCN et de l'Etat."
Longtemps après, une veuve est venue demander à Gilles Sanson si son époux avait souffert. Que répondre quand on vit hanté par des images insoutenables comme celle d'un collègue pétrissant, incrédule, une moitié de son visage arraché? Les pieds de M. Sanson, "gros comme des ballons de football", ont été inopérables pendant dixjours. Il y eut la douleur indicible, six mois cloué dans un fauteuil roulant, et la Légion d'honneur qu'il a acceptée: "Parce que je pensais sincèrement qu'on avait été victimes d'Al-Qaida", dit-il.
Au bout de treize mois, Gilles Sanson a repris un poste au centre d'essais techniques de la DCN. "Tout le temps passé à me reconstruire physiquement j'avais tenu le coup, souffle-t-il, puis j'ai pris conscience qu'à travers nous, pour des histoires de gros sous, on avait ciblé l'Etat dont la DCN dépendait alors entièrement. Pour moi, cet Etat qui ne nous avait pas protégés nous devait au moins la vérité."
Gilles Sanson, invité du 19/20, France3 03.01.2012
Cette quête leur semble interminable à tous. En mai 2008, lors d'une perquisition dans le bureau d'un dirigeant de la DCNI (la filiale de commercialisation de la DCN), Gérard-Philippe Menayas, dans le cadre d'une tout autre enquête, les policiers ont découvert les rapports Nautilus, que l'entreprise n'avait pas jugé utile de transmettre à la justice. Ces documents – qui mettent en avant le mobile politico-financier de l'attentat – révèlent que, dès juin 2002, la DCN a pensé à se prémunir contre toute responsabilité pénale dans l'attentat et à mener le contrat à son terme. A l'époque, contre 40 000 euros hors taxe, l'entreprise avait confié à une officine dirigée par Claude Thévenet, ancien agent de la DST, la mission de "vérifier l'état de l'enquête en cours au Pakistan", "s'assurer que DCNI ne peut être poursuivie pour insuffisance de sécurité", "rechercher sur qui rejaillit la responsabilité de l'attentat", et "tenter d'identifier toute menace contre le contrat ou DCNI".
"Si la DCN avait communiqué ce rapport à la justice dès septembre 2002, tout aurait pu être différent, s'insurge M. Sanson. Mais ils l'ont planqué, prenant sciemment le risque de laisser se perdre des preuves existantes." Par ailleurs, Gilles Sanson et ses collègues ne s'expliquent toujours pas l'attitude de Gérard Clermont, l'ingénieur-armement chargé par la DCN de la sécurité sur le site de Karachi. Condamné au pénal en 1985 pour la mort de deux ouvriers sur un chantier dont il devait organiser la sécurité, il n'a jamais appliqué le protocole de sécurité qu'il avait lui-même conçu pour Karachi après les attentats du 11 septembre 2001.
"Notre bus siglé qui partait invariablement à la même heure et parcourait le même trajet était une cible parfaite, explique M. Sanson, et nous n'avons jamais eu la moindre réunion concernant la sécurité hors du chantier." Or de réelles menaces pesaient sur les Occidentaux comme en témoignent l'exécution du reporter américain Daniel Pearl et la découverte d'une bombe factice sous la voiture d'un diplomate français à Islamabad en janvier 2002. Ou encore le vol du porte-documents d'un employé pakistanais responsable de la logistique pour la DCN qui contenait la liste nominative et les adresses du personnel en poste à Karachi, et l'attentat meurtrier dans une église du quartier diplomatique d'Islamabad en mars 2002.
Mais même les mises en garde, mi-avril 2002, d'un responsable du service de coopération technique internationale de police (SCTIP) contre de possibles actions terroristes visant "des ressortissants étrangers" ont été ignorées. Dans une note interne à la DCN du 27 avril 2002, M.Clermont – résumant une réunion tenue la veille au consulat de France où avait été évoqué le retour d'expatriés américains et canadiens – avait jugé ces mesures "inutilement pessimistes"."
Lien direct: http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/01/03/karachi-le-combat-des-survivants-contre-l-etat_1625014_3224.htmlAutres articles:
- LE CALVAIRE DES SURVIVANTS, France info, 10.01.2012
- KARACHI : UN RESCAPÉ TÉMOIGNE DEVANT LA PJ, Libération, 10.01.2012
2. L’ÉTAU JUDICIAIRE SE RESSERRE SUR LA BALLADURIE
KARACHI : LE CANDIDAT BALLADUR ÉPINGLÉ
Europe1.fr, 08.01.2012
"La perquisition remonte au 24 novembre 2011. Les enquêteurs du volet financier de l'affaire Karachi ont découvert les archives de l’Aficeb, l’association de financement de la campagne d'Edouard Balladur, dans la cave de son ancien président, Jean-Claude Aurousseau, rapporte Le Journal du Dimanche.
En épluchant cette mine d'or, la division nationale des investigations financières (DNIF) ont trouvé la preuve que les comptes de campagne du candidat à l'élection présidentielle de 1995, avaient bel et bien été truqués. Les trois procès-verbaux de synthèses dressés par les fonctionnaires ont été consultés par le JDD.
Jean-Claude Aurousseau connaissait le plafond de dépenses de 90 millions de francs imposé par la loi aux candidats du premier tour. Or, souligne l'hebdomadaire, "les engagements ont été dépassé de 17 millions de francs", le 20 mars 1995.
Autre conclusion du rapport de synthèse, dès février "les dirigeants de l’Aficeb" savaient qu’il leur manquait "au moins 11 millions de francs pour équilibrer leurs comptes." Comment les comptes de campagne ont-ils été rééquilibrés ? Pour les enquêteurs de la DNIF, "des financements de dernière minute, soit des fonds spéciaux de Matignon, soit des versements de rétrocommission" ont été utilisés.
Lors de sa garde à vue, le 7 décembre dernier, le préfet Jean-Claude Aurousseau, a reconnu que Pierre Monin, chef de cabinet du Premier ministre Balladur, lui avait remis "une enveloppe" provenant des fonds spéciaux de Matignon pour "compenser" ses activités. Mais il s'agit là des seuls fonds spéciaux que le préfet dit avoir vus. En revanche, l'ancien haut fonctionnaire de la région Ile-de-France nie avoir eu connaissance des 10 millions de francs en espèces.
"Les dépenses augmentaient alors que les sondages baissaient", résume Jean-Claude Aurousseau aux enquêteurs. Quant aux 5,2 millions en liquide, dépensés pour la "sécurité des meetings" et qui n’apparaissent pas dans les comptes, le président de l'Aficeb dit "découvrir" ces "sommes mirobolantes".
"Je ne peux vous donner aucune réponse. Je comprends maintenant pourquoi les rapporteurs ont mis en évidence des problèmes", conclut le préfet."
lien direct: http://www.europe1.fr/Politique/Karachi-le-candidat-Balladur-epingle-895161/
Sarkofrance, 03.01.2012
" Dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, on pense qu'il s'agit d'une course contre la montre. D'ici l'élection présidentielle, les juges Marc Trévidic, d'une part, et Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire d'autre part, se dépêcheraient de terminer leurs instructions des deux volets, criminel et financier, de l'affaire dite de Karachi avant le premier tour de l'élection présidentielle.
Dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, on est sûr qu'il s'agit d'une instrumentalisation politique, que ces révélations à répétition (jusqu'à cette dernière de Libération, lundi 2 janvier 2012), ne sont que l'oeuvre de journalistes engagés et anti-sarkozystes. Pourtant, la manoeuvre politique était ailleurs, du côté des pouvoirs publics depuis 2002. Depuis l'attentat de mai 2002 à Karachi, l'enquête a fait fausse route, orientée (volontairement ?) vers une piste terroriste. Ce n'est que récemment, en 2009, à l'occasion d'un changement de juge, qu'elle a enfin progressé.
Depuis l'été dernier, les révélations de Mediapart et de deux anciennes épouses de deux proches du clan Sarkozy ont ajouté de nouvelles frayeurs à l'aréopage sarkozyen. Ces derniers jours, l'AFP, Mediapart puis Libération ont porté de nouvelles pièces de l'affaire à la connaissance du grand public.
Les aveux... Pendant la prétendue trêve de Noël, quelques informations supplémentaires sont venues troubler le repos de l'équipe élyséenne.
1. Le 31 décembre, l'AFP a publié des extraits de PV d'audition de Renaud Donnedieu de Vabres (RDDV) mi-décembre. En des termes très clairs, RDDV a admis les 13 et 14 décembre dernier aux enquêteurs de la Division nationale d'investigations financières (DNIF) avoir imposé Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir comme informateurs dans la vente des sous-marins français Agosta au Pakistan en 1994. Mais il a récusé le terme d'intermédiaire, il préféra l'expression « personne utile par leurs informations ». L'AFP a livré quelques extraits du PV d'audition vendredi dernier. Ziad Takieddine nie d'ailleurs toujours avoir perçu 26 millions d'euros de commission sur ce contrat.
En revanche, RDDV ne sait pas comment ces informateurs-clés ont été rémunérés: « Je me doutais qu'un certain nombre de personnes allaient toucher des commissions, dont M. Takieddine. Par contre je ne savais pas par quel biais ni le montant qu'il allait percevoir ».
2. Dans un article du 29 décembre dernier, Mediapart a révélé que Ziad Takieddine reconnaissait avoir versé des fonds à Thierry Gaubert, l'ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy. Le site a même trouvé trace d'un virement de 100.000 dollars de Takieddine à Gaubert en octobre 2010. À la question du juge Van Ruymbeke «lui avez-vous remis de l'argent ?», M. Takieddine a répondu : «Oui, sur différentes périodes, par des virements, sur sa demande. Il avait besoin d'argent, il voulait que je lui prête de l'argent. Il ne m'a remboursé que très partiellement.»
3. Thierry Gaubert a bel et bien transféré des espèces de Suisse en France au moment des faits. Son ex-femme l'accuse. Le 29 décembre dernier, Mediapart complète: « Les policiers en ont retrouvé la trace. » Et précise que Thierry Gaubert, interrogé le 16 décembre dernier par la police, « n'a pas pu justifier l'origine des fonds déposés en 1995 − un million de francs suisses −, ni même les dépôts suivants. »
4. Brice Hortefeux, l'un des plus fidèles de Nicolas Sarkozy, est soupçonné d'avoir reçu des enveloppes d'espèces de la part de Ziad Takieddine. Le soupçon vient d'une accusation de l'ex-femme de l'homme d'affaires, citée par Mediapart dans le même billet. Le 19 décembre dernier, Brice Hortefeux a reconnu devant le juge Roger Le Loire qu'il avait « pu mesurer à l'occasion de la négociation d'un contrat important pour notre pays, le contrat Miksa la qualité de ses relations avec les autorités saoudiennes». Cette négociation portait sur la sécurisation des frontières saoudiennes.
... qui ciblent François Léotard... La prochaine cible des instructions devrait être François Léotard. En 1995, il était ministre de la Défense d'Edouard Balladur quand ces contrats Agosta et Sawari II ont été conclus. Renaud Donnedieu de Vabres était son proche conseiller spécial.
La plupart des protagonistes français de cette vente ont été mis en examen depuis septembre dernier: Ziad Takieddine, l'intermédiaire qui nie avoir été intermédiaire dans la vente Agosta mais reconnaît son rôle dans Sawari II; Thierry Gaubert, ancien directeur de cabinet de Sarkozy à la mairie de Neuilly-sur-Seine, propulsé à l'organisation des meetings de campagne d'Edouard Balladur en 1995 (avec ... Brice Hortefeux); Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet de Balladur à Matignon en 1993-1995 et témoin du mariage Nicolas/Carla en février 2008; et, plus récemment, l'ancien PDG de la DCNI, la branche internationale de la Direction des constructions navales qui a vendu les sous-marins Agosta: Dominique Castellan.
Ce dernier a été mis en examen juste avant Noël, le 21 décembre 2011, pour abus de bien sociaux de 1994 à 1997 par le juge Renaud van Ruymbeke. Il est soupçonné d'avoir conclu « un contrat d'assistance fictif contraire à l'intérêt de la DCN » en 1994, qui prévoyait le versement de 33 millions d'euros de commission à une société de Ziad Takieddine. Or, d'après les juges, M. Castellan aurait agi « afin de conserver son poste » et « sur instruction du ministre de la Défense de l'époque, François Léotard ».
Il reste donc deux personnages clés, François Léotard et... Nicolas Sarkozy.
Depuis qu'il s'est retiré de la chose politique, le premier utilise son carnet d'adresses... en Afrique. En Tunisie, son nom a fait surface dans un rapport de la Commission nationale d'investigation sur la corruption et la malversation, publié en novembre, à propos de l'octroi d'un marché de traitement de déchets sous Ben Ali: « Il apparaît que le marché a été accordé d'une manière irrégulière [...] à la société française et son conseiller FL, qui occupait le poste de ministre dans le gouvernement français et que l'ancien président [Ben Ali, ndlr] considérait comme un ami de la Tunisie.»
... et Nicolas Sarkozy
Lundi 2 janvier 2012, le quotidien Libération faisait sa une sur cette affaire: « Sarkozy savait ».
Depuis la relance de l'affaire en juin 2009, l'équipe élyséenne a toujours démenti une quelconque implication de Nicolas Sarkozy dans l'affaire: il n'était que porte-parole de la campagne d'Edouard Balladur; ministre du budget, il ne gérait aucune vente d'armes; et il ne savait rien.
En fait, Nicolas Sarkozy savait, et nous le savions depuis quelques temps. En novembre 2010, Libération rapportait que la police luxembourgeoise l'avait nommément cité dans l'un de ses rapports: en tant que ministre du Budget, il avait avalisé la création d'une société-écran en 1994 pour le versement des commissions occultes du contrat Agosta, baptisée HEINE. Des « courriers à en-tête de Heine échangés entre Nicolas Sarkozy (alors ministre de l’Intérieur) et les administrateurs de la société » avaient été saisis. Mediapart avait également révélé comment Nicolas Sarkozy avait chargé ses conseillers de « négocier avec l'ancien dirigeant d'une société écran de la Direction des constructions navales (DCN) » un protocole transactionnel signé en 2009.
Lundi 2 janvier 2012, Libération publiait des extraits de procès-verbaux d'audition de Gérard-Philippe Menayas, l'ancien directeur administratif et financier de la DCNI, devant le juge Renaud van Ruymbeke. Ce dernier confirma (1) que le cabinet du ministre du budget était au courant, et (2) qu'une validation officielle du versement de commissions occultes à Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir par le ministre Sarkozy était nécessaire.
M. Menayas : « Il est clair que le Ministère du Budget a nécessairement donné son accord pour la création de Heine . Vu l'importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu'au niveau du cabinet du ministre.» Le juge: « Si je comprends bien, la mise en place de la structure Heine n'a donc pu se faire qu'avec le double accord des deux cabinets du ministre du Budget et celui de la Défense. Est-ce exact ? » M. Menayas: « Oui. J'ai une expérience en la matière, ayant travaillé 6 ans à la direction du trésor. Je n'imagine pas qu'une telle décision ait pu être prise sans l'aval du cabinet du ministre. (...) Si ces précautions n'avaient pas été prises, je n'aurais jamais obtenu (...) l'accord de la direction générale des impôts (...) pour payer des commissions via Heine.»
Notez que Menayas évoque le cabinet du ministre et non pas Nicolas Sarkozy. mais savez-vous de quels montants parlons-nous ? De près de 300 millions d'euros de commissions d'intermédiaires: 84 millions d'euros sur le contrat Agosta et 213 millions d'euros sur le contrat Sawari II. Comment imaginer que la validation de la déductibilité fiscale dans les comptes de la DCNI d'une telle charge en si peu de temps n'ait été portée à la connaissance du ministre Sarkozy.
Lundi 2 janvier, Fabrice Arfi et Karl Laske de Mediapart ajoutaient une autre pièce au dossier, relative au contrat Sawari II: « un feu vert a bien été donné, en 1995, en pleine campagne présidentielle, par le ministre du budget d'alors afin d'apporter la garantie de l'Etat à l'office d'armement Sofresa dans la vente des frégates saoudiennes ».
[...]
Résumons-nous:
1. Le cabinet du ministre Sarkozy a validé la déductibilité fiscale de près de 300 millions d'euros de commissions sur deux contrats d'armements (Agosta et Sawari II) dans les comptes de la DCNI.
2. Les juges en charge de l'enquête ont mis en examen le patron de la société vendeuse, l'un des intermédiaires ayant perçu une part de ces commissions, le directeur de cabinet du premier ministre de l'époque, l'ancien conseiller direct du ministre Sarkozy
3. Mais... Nicolas Sarkozy ne savait rien.
Pour qui nous prend-on ?"
- SARKOZY COINCE, LEOTARD FRAGILISE Mediapart, Fabrice Arfi et Karl Laske, 02.01.2012 (payant)
- KARACHI, LES FONDS SECRETS ONT BIEN ETE MOBILISES POUR LA CAMPAGNE DE BALLADUR, Le monde 02.01.2012
- AFFAIRE KARACHI : DOMINIQUE DE VILLEPIN ENTENDU PAR LES JUGES, Le parisien, 09.01.2012
REPORTAGE BFM, 09.01.2012
3. MENACES SUR L’ENQUÊTE
MENACES SUR L'AFFAIRE KARACHI
Laurent Valdiguié, Le JDD. 07.01.2012
"L’enquête des juges Le Loire et Van Ruymbeke sur le volet financier de l’affaire Karachi sera-t-elle gelée puis annulée?
Depuis la fin décembre, en toute discrétion, les avocats de Nicolas Bazire, Mes Frédéric Landon et Jean-Yves Lienard, et de Ziad Takieddine, Me Ludovic Landivaux, ont déposé une rafale de requêtes en nullité. Ces avocats alignent une série d’arguments juridiques selon lesquels les deux juges auraient enquêté "hors les clous". Ils réclament donc à la chambre de l’instruction d’annuler toute la procédure. En attendant cet examen, les avocats demandent aussi "la suspension de l’information".
Depuis début janvier, le président de la chambre de l’instruction peut donc décider à tout moment, par simple courrier aux magistrats, de mettre un arrêt à leur dossier. Vendredi soir, selon nos sources, aucune décision en ce sens n’avait été prise mais le parquet général n’y serait pas "défavorable". "C’est le président de la chambre de l’instruction qui décide, et il n’a pas à motiver sa décision, dans un sens comme dans l’autre", décrypte un juriste qui s’attend à un "Trafalgar judiciaire".
Selon les avocats, une première faille "minerait" la régularité de l’enquête. Selon eux, saisi en septembre 2010 d’une seule plainte avec constitution de partie civile déposée par les familles des victimes de l’attentat de Karachi, le juge Van Ruymbeke a enquêté pendant trois mois "hors saisine". Et ce d’autant plus que, a posteriori, la plainte de l’association a ensuite été constatée "irrecevable" et sa partie civile écartée. Puis, sur la base de cette enquête initiale "biaisée", le juge Van Ruymbeke a signalé des soupçons au parquet, qui lui a délivré un feu vert le 14 décembre 2010. "Entre le 17 septembre et le 14 décembre, le juge était hors saisine", estiment les avocats, qui réclament l’annulation de tous les actes effectués durant cette période. "Et donc de la totalité de l’enquête". "La mise en cause de Nicolas Bazire est le fruit pervers d’une construction intellectuelle fondée sur un raisonnement sciemment biaisé et sur des éléments inconsistants", écrivent les avocats de l’ancien directeur de cabinet, qui réclament aussi l’annulation de sa mise en examen.
Autre front soulevé : l’article 62 de la Constitution. "Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles", écrit le texte. "Aucun juge ne peut donc enquêter sur les comptes de campagne de Balladur dès lors qu’ils ont été validés par le Conseil, quoi qu’on pense de cette validation", assurent les avocats. Si la chambre de l’instruction décidait de suivre ce raisonnement, Édouard Balladur, alors même que l’enquête démontre que ces comptes auraient été truqués, échapperait aux poursuites..."
suite de l'article: http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/Karachigate-les-avocats-de-Takieddine-et-Bazire-ont-depose-des-requetes-en-nullite-447044/?from=headlines
4. BONUS, LE RICOCHET COPE
AFFAIRE TAKIEDDINE: LA POLICE ENQUÊTE SUR UNE RISTOURNE FISCALE DE COPE
Mediapart, Fabrice Arfi et Karl Laske, 06.01.2012
"Jean-François Copé n'en a pas fini avec l'affaire Takieddine. Selon un «procès-verbal d'investigation» du 12 décembre 2011, la police judiciaire enquête sur une étrange faveur fiscale accordée par le patron de l'UMP, à l'époque où il était ministre du budget (2004-2007).
Les faits, évoqués en septembre dernier par Mediapart, portent sur l'effacement, en 2005, des deux tiers d'une dette fiscale réclamée par l'administration à un riche homme d'affaires franco-libanais, Gérard Achcar. Une ristourne de 4 millions d'euros, qui serait consécutive à l'intervention de Ziad Takieddine auprès du ministre. Et qui lui aurait été demandée par Nicolas Bazire.
Président des Grands moulins du Mali, mais résident fiscal en France, M. Achcar est en effet lié au n°2 du géant du luxe LVMH, mis en examen en septembre pour «complicité d'abus de biens sociaux» dans le volet financier de l'affaire Karachi. C'est la découverte du dossier fiscal de M. Achcar dans les archives de M. Takieddine qui a éveillé la curiosité des policiers de la Division nationale des investigations financières (Dnif). Le 9 décembre dernier, Nicola Johnson, l'ex-femme du marchand d'armes, a été priée de livrer son explication sur ces documents.
«Je me rappelle qu'une fois Nicolas Bazire est venu voir Ziad Takieddine pour que Ziad l'aide par rapport à M. Achcar, a-t-elle ainsi expliqué sur PV. En effet, M. Achcar avait un problème avec le fisc français. Ziad a accepté d'aider M. Achcar, à la demande de Nicolas Bazire. Ziad a ensuite contacté Jean-François Copé qui était ministre du budget à ce moment-là.»
[...]
Considéré comme mauvais payeur par le fisc français pour les années 1998, 1999 et 2000, Gérard Achcar a fait l'objet d'un important redressement fiscal au terme duquel l'administration lui réclamait 6,2 millions d'euros d'arriérés. Or, après l'intervention personnelle de Jean-François Copé, qui se matérialise par une lettre datée du 13 juin 2005 que Mediapart reproduit ci-dessous, les sommes dues ont miraculeusement dégringolé à 2,2 millions d'euros.
lettre Copé
Les solutions fiscales sophistiquées proposées par M. Copé dans son courrier permettent ainsi «l'abandon des deux tiers des bases» d'imposition, comme le ministre l'écrit lui-même.
Après les promesses, les actes : les diligences de l'administration fiscale ne se feront guère attendre.
Dans un courrier du 24 octobre 2005, la directrice divisionnaire de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), Marie-Aimée M., détaille à Gérard Achcar la liste de tous les rectificatifs auxquels son service doit se soumettre, quatre mois après l'intervention personnelle du ministre du budget dans ce dossier.
[...]
Les liens Copé/Takieddine au cœur de l'enquête
Depuis le début de l'affaire Takieddine, Jean-François Copé peine à s'expliquer sur ses liens avec le marchand d'armes. Il soutient n'avoir jamais eu de relations autres qu'amicales avec lui. Leur rencontre s'est pourtant nouée en 2002 au moment où M. Takieddine approchait les milieux gouvernementaux avec plusieurs projets de contrats avec l'Arabie saoudite et le Moyen-Orient.
Jean-François Copé était alors le porte-parole du gouvernement et ministre des relations avec le parlement, avant de rejoindre Nicolas Sarkozy comme ministre délégué à l'intérieur. C'est Thierry Gaubert, ancien conseiller de M. Sarkozy alors chargé de mission auprès de M. Copé, qui les présente.
Durant cette période, comme Mediapart l'a déjà raconté, Jean-François Copé s'est vu offrir plusieurs voyages et des croisières sur le yacht La Diva de Ziad Takieddine. La comptabilité du marchand d'armes garde d'ailleurs la trace d'un avoir de 19.000 euros au profit de « la famille Copé », en avril 2004. Ziad Takieddine a également été l'organisateur d'un déplacement officiel de Jean-François Copé à Beyrouth, en octobre 2003.
M. Copé a continué de profiter de toutes ces faveurs lorsqu'il est devenu ministre du budget, en 2004. Et durant toute cette période, son généreux ami est parvenu à dissimuler son patrimoine, estimé à 100 millions d'euros, au fisc français.
«Je l'ai invité avec sa famille une semaine par-ci, une semaine par-là, l'été, et une fois à Beyrouth, indique à Mediapart M. Takieddine, qui plaide lui aussi l'amitié. Un jour à Saint-Tropez, quand il était chez nous au cap d'Antibes, je lui ai offert une Rolex pour son anniversaire. Je savais qu'il aimait les montres.»
Cette relation privilégiée entre le marchand d'armes et l'actuel patron de l'UMP a continué d'attirer l'attention des enquêteurs après la découverte d'un compte ouvert au Crédit suisse de Genève par la sœur de M. Copé. Les policiers n'excluent pas l'hypothèse que ce compte ait été ouvert pour servir de compte de «passage» à d'éventuels versements de Ziad Takieddine à Jean-François Copé."
article complet: http://www.mediapart.fr/journal/france/060112/affaire-takieddine-la-police-enquete-sur-une-ristourne-fiscale-de-cope?page_article=3Pearltree des articles de janvier 2012 (updaté ts les jours)