lundi 16 novembre 2009

[Revue de presse] - [33] - [16 novembre 2009]

AFFAIRE DE KARACHI, UN TEMOIN POINTE LE ROLE PARTICULIER DE SARKOZY
Mediapart, Fabrice Arfi, Fabrice Lhomme
"Le juge Marc Trévidic, en charge de l’enquête sur les causes de l’attentat de Karachi, qui a coûté la vie à onze employés français de la Direction des constructions navales (DCN) en mai 2002, vient de recueillir un témoignage important. Le 9 novembre, l’ancien directeur financier et administratif de la DCN, Gérard-Philippe Menayas, a pointé le rôle particulier joué par Nicolas Sarkozy dans le cadre de la signature du contrat Agosta – la vente par la France de trois sous-marins au Pakistan en 1994. Ce contrat pourrait avoir un lien, direct ou indirect, avec l’attentat, selon plusieurs éléments de la procédure judiciaire.

Nicolas Sarkozy était alors le ministre du budget d’Edouard Balladur (1993-1995), dont le gouvernement est à l’origine de ce marché d’armement de 838 millions d’euros. 4% du montant devaient être versés en commissions à des agents d’influence au rôle pour le moins trouble. Devant le juge, M. Menayas a évoqué, sans le citer nommément, M. Sarkozy à qui «le plan de financement» du contrat Agosta (y compris la rémunération des intermédiaires) aurait été nécessairement «soumis» en sa qualité de ministre du budget.

M. Menayas a également fait état du versement, en marge du même contrat, de rétrocommissions au bénéfice de destinataires français et pakistanais. Car s’il n’existe pour l’heure aucune preuve matérielle d’un lien entre les dessous financiers du contrat Agosta (et les soupçons de corruption qui en découlent) et l’attentat, l’enquête a d’ores et déjà permis de mettre en lumière les pratiques qui sont au cœur de certains grands marchés d’armement internationaux. Avec, en l’occurrence, le spectre du financement illégal de la vie politique française en toile de fond.

Ancien haut fonctionnaire de la direction du Trésor, Gérard-Philippe Menayas a d’abord expliqué au juge Trévidic dans quelles conditions les dirigeants de la DCN, via sa filiale commerciale DCN International (DCNI), lui avaient imposé deux intermédiaires libanais, Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir. Il fallait manifestement les rémunérer, rapidement et en conséquence, dans le cadre du contrat pakistanais, a expliqué en substance M. Menayas. Dans une précédente audition, l’ancien dirigeant de la DCN avait déjà affirmé que MM. Takieddine et El-Assir avaient «été imposés à la DCNI par le pouvoir politique [français]».

A nouveau convoqué par le juge, il s’est fait plus précis le 9 novembre: «Avant que le contrat ne soit signé, M. Takieddine m’a été présenté par M. Castellan et M. Aris [respectivement président et vice-président de DCNI]. M. Castellan m’a emmené dans un appartement avenue Henri-Martin où se trouvaient M. Takieddine et M. El-Assir. » Cette première rencontre aurait eu lieu «au moment de la signature du contrat, aux alentours de septembre 1994».

Leur apparition in extremis – le contrat a été signé le 21 septembre 1994 – est pour le moins surprenante. «Takieddine et El-Assir sont apparus assez tard dans le panorama. D’habitude, les agents sont identifiés beaucoup plus en amont. S’agissant du contrat pakistanais, les négociations avaient débuté en mars 1994. Cela s’est donc fait assez vite», a expliqué M. Menayas.

Le témoin a souligné une autre anomalie de taille portant sur les prétentions financières exorbitantes et les modalités de paiement des deux intermédiaires. M. Menayas est allé jusqu’à les qualifier de «hors normes». «Habituellement, les paiements des consultants se font au prorata des paiements du client», a-t-il précisé. C’est-à-dire que les versements sont échelonnés.

«Mais, en l’espèce, a précisé M. Menayas, M. Takieddine et M. El-Assir voulaient 100% à l’entrée en vigueur du contrat de consultant, ce qui était très inhabituel. Pour tout dire, je n’avais jamais vu ça [...] Avec l’accord du président, j’ai réussi à négocier le paiement de 85% à l’entrée en vigueur et 15% échelonnés au prorata des paiements directs.»

Un montage financier complexe

Question du juge Trévidic:
«MM. Takieddine et El-Assir vous ont-ils dit pour quelle raison ils voulaient 100% tout de suite?»

Réponse de Gérard-Philippe Menayas:
«Ils m’ont dit que c’étaient les exigences de leurs donneurs d’ordres.»

Le magistrat pousse le raisonnement:
— «Cela semble démontrer que quelqu’un avait besoin d’argent rapidement: qu’en pensez-vous?»

Le témoin abonde:
«C’est probable. Je précise que le plan de financement d’un contrat comme le contrat Agosta comportait toutes les données, y compris les frais commerciaux. Or, ce plan de financement était soumis aux autorités de tutelle, c’est-à-dire au ministre de la défense [François Léotard, NDLR] lui-même, au ministre du budget [Nicolas Sarkozy, NDLR] et à la Coface qui garantissait. De ce fait, des exigences hors normes avaient toutes les chances d’être refusées.»

Or, cela n’a pas été cas. «Il y a eu quelques remarques dont je ne me souviens plus exactement, mais c’est passé», a affirmé M. Menayas. Selon ce dernier, M. Takieddine «a reçu 85% [de sa commission] en janvier 1995».

Gérard-Philippe Menayas a ensuite livré des détails édifiants sur les circuits financiers utilisés afin que Ziad Takieddine, via l’une de ses sociétés, Mercor Finance, puisse récupérer les fonds sans laisser de trace. «L’argent partait de DCNI en utilisant des petites banques régionales pour des raisons de discrétion. Cela permettait qu’une seule personne de la banque soit au courant. Je me souviens de la banque Veuve Morin Pons par exemple. L’argent était donc viré vers la société Heine.»

Heine est une société de droit luxembourgeois, créée en 1994 par la DCN pour favoriser le paiement en toute discrétion d’agents d’influence employés pour mener à terme certains gros contrats d’armement des arsenaux français. Selon un rapport de police de mars 2007, qui fait état d’une note saisie à la DCN lors d’une perquisition dans le cadre d’une procédure financière annexe, la société Heine a été créée avec l’aval du ministre du budget de l’époque. Nicolas Sarkozy, toujours.

Les policiers de la division nationale des investigations financières (DNIF) avaient été jusqu’à écrire: «Une chronologie fait apparaître que la création de la société Heine au deuxième semestre 1994 s’est faite après accord de Nicolas Bazire, directeur de cabinet d’Edouard Balladur, et du ministre Nicolas Sarkozy, et fait un lien entre ces faits et le financement de la campagne électorale de Monsieur Balladur pour l’élection présidentielle de 1995.»

Devant le juge Trévidic, M. Menayas a décrit avec une précision d’orfèvre le parcours des fonds destinés à l’un des deux intermédiaires: «Dans le cas de M. Takieddine, l’argent était viré de Heine vers une société de l’île de Man. C’était un nom gaélique, quelque chose comme Gailmer [il s'agit de Formoyle & Gailmer, NDLR]. Cette société a été créée juste pour les commissions de M. Takieddine. Elle a été dissoute après. C’est la Royal Bank of Scotland qui recevait l’argent sur l’île de Man et qui l’envoyait ensuite sur un compte de M. Takieddine au Liechtenstein. L’idée était d’avoir un système à deux étages avec un coupe-circuit en amont et un coupe-circuit en aval.»

Mais les ennuis ont commencé à la suite de l’élection de Jacques Chirac. Ainsi que l’ancien ministre de la défense Charles Millon l’a reconnu dans un entretien à Paris Match, le nouveau président de la République aurait exigé l’arrêt du versement des reliquats de commissions dus aux intermédiaires. M. Chirac les soupçonnait d’avoir financé son rival Edouard Balladur dans sa course à l’Elysée. A l’époque, le directeur de la campagne de M. Balladur n’était autre que Nicolas Sarkozy.

«Il y avait effectivement une clause anti-rétrocommissions»

«Début 1996, a confirmé M. Menayas, M. Castellan m’a indiqué qu’il fallait arrêter les paiements à M. Takieddine en raison d’un ordre donné par le cabinet du ministre de la défense. Il ne m’a pas dit pourquoi, mais il y avait eu un changement politique et il arrive que les agents soient remis en cause en cas de changement politique.» Qu’en termes pudiques ces choses-là sont dites…

Selon M. Menayas, les 15% dus (plus de 5 millions d’euros) à Ziad Takieddine «sont restés chez DCNI, comme un profit exceptionnel». Ces sommes «n’ont jamais été payées», d’après lui.

L’ancien dirigeant de la DCN, qui a été évincé du groupe après sa mise en cause dans une affaire financière, a également confié au juge se demander «pour quelle raison M. Takieddine n’a pas fait valoir ses droits». Il a lui-même apporté des réponses possibles à ses interrogations: «Peut-être n’avait-il aucun espoir d’obtenir satisfaction en raison du refus clair et net des autorités françaises.» Ou encore : «Peut-être a-t-il été désintéressé [dédommagé, NDLR] d’une façon». A moins qu’il ait constaté que «sa position n’était pas très solide».

Manifestement intéressé par cette dernière proposition, le juge Marc Trévidic a alors demandé à M. Menayas si Ziad Takieddine ne se serait pas mis «en tort» dans l’exécution du contrat qui le liait à la DCN. Pour M. Menayas, la réponse ne semble faire aucun doute: «Il y avait effectivement une clause anti-rétrocommissions dans ce contrat comme dans les autres contrats de consultants.» Le style indirect est admirable, mais ne doit pas faire oublier l’information que recèle cette phrase. L’ancien directeur financier de la DCN laisse ainsi entendre très fortement qu’il y aurait bien eu des rétrocommissions.

Mediapart a déjà fait état de la découverte au siège de la DCN de documents juridiques datant a priori de 2000 qui confirmaient, eux aussi, l’hypothèse de rétrocommissions en faveur de bénéficiaires français en marge du contrat Agosta. Le «silence» de Ziad Takieddine face à ses accusations avait d’ailleurs été interprété en interne comme une «forte présomption d’acquiescement», soulignaient les deux notes en question.

D’autre part, selon des éléments bancaires récupérés par des juges genevois à la fin des années 1990, dans le cadre d’une vaste affaire de blanchiment mettant en cause l’ancien premier ministre du Pakistan (Benazir Bhutto) et son mari (Azif Ali Zardari), il est apparu que certains mouvements financiers suspects impliquant des intermédiaires du contrat Agosta ont eu pour destination finale la France. Ces mouvements bancaires pourraient concerner des flux de corruption destinés, in fine, à des décideurs politiques français, selon des sources concordantes citées par Mediapart dans une précédente enquête.

Du clan Bhutto, il fut d’ailleurs aussi question dans le cabinet du juge lors de l’audition de Gérard-Philippe Menayas. Interrogé sur un document interne à la DCN évoquant un versement, en marge du contrat Agosta, à un certain «M. Frère», M. Menayas a décrypté ainsi cette mention: «Il s’agit de l’un des frères de Benazir Bhutto [...] Je sais que c’est lui par une information que j’ai reçue. Lors d’une réunion de DCN, M. Hervé Cheneau [inspecteur général de l'armement, NDLR] a précisé qu’il s’agissait de l’un des frères de Benazir Bhutto.»

Premier ministre du Pakistan de 1988 à 1990 puis de 1993 à 1996 (donc au moment de la signature du contrat Agosta), Mme Bhutto a été assassinée en 2007. Son mari, Azif Ali Zardari, qui a passé de nombreuses années en prison pour corruption et qui est accusé d’avoir touché des pots-de-vin dans le cadre du contrat Agosta, comme l’a révélé récemment Libération, est depuis septembre 2008 à la tête de l’Etat pakistanais."

lien direct : http://www.mediapart.fr/journal/france/161109/affaire-de-karachi-un-temoin-pointe-le-role-particulier-de-sarkozy



LES POTS DE VIN DU PRESIDENT PAKISTANAIS

Liberation, Guillaume Dasquié, 10 novembre 2009
"...Explication : entre octobre 1993 et novembre 1996, la Première ministre, Benazir Bhutto, offre plusieurs fonctions officielles à son mari, Ali Zardari. Ce dernier en profite pour exiger des commissions tous azimuts, en accord avec son épouse. Une particularité qui lui vaudra le sobriquet de «Mister 10%», et provoquera sa chute. Interpellé le 19 décembre 1996, il est incarcéré pour avoir protégé un trafiquant de drogues contre rémunération, selon une lettre du procureur d’Islamabad dont nous avons obtenu copie. Celle-ci mentionne aussi plusieurs comptes en banque ouverts en Europe. A partir de 1997, le National Accountability Bureau (NAB, sorte de Cour de discipline budgétaire) entreprend de répertorier les avoirs détenus à l’étranger par le couple Bhutto-Zardari. Des coopérations s’enclenchent avec les Suisses et les Britanniques. Selon le bureau du magistrat helvétique Vincent Fournier, que nous avons sollicité, ces requêtes pakistanaises mentionnent les contrats susceptibles d’avoir généré des commissions illicites au profit d’Ali Zardari, dont le contrat des sous-marins de la DCN. Quatre ans plus tard, ces démarches s’avèrent fructueuses...."
lien direct : http://www.liberation.fr/societe/0101602179-les-pots-de-vin-du-president-pakistanais


LE JUGE BRUGUIERE N'A RIEN A DIRE
Le coucou de claviers, 5 novembre 2009
"...On attendait notamment des éléments solides permettant de comprendre son instruction de l'attentat de Karachi, une affaire remise en scène par l'actualité, et que ses implications politiques possibles rendent brûlante… Las! C'était oublier que l'ancien juge est devenu un adhérent actif de l'UMP, candidat malheureux à la députation, mais soutien éminent de Nicolas Sarkozy. C'était aussi sans compter avec le fait que M. Bruguière venait à la radio vendre sa salade, en l'occurence un livre intitulé «Ce que je n'ai pas pu dire»…"
lien direct : http://unclavesien.blogspot.com/2009/11/le-juge-bruguiere-na-rien-dire.html