dimanche 17 juillet 2011

[revue de presse] - [102] - [13-17 juillet 2011]

Mediapart.Fabrice Arfi, Karl Laske 15/07/2011
Extraits
"Il s'agit de l'un des secrets les mieux gardés du clan Sarkozy. L'homme d'affaires Ziad Takieddine, principal suspect dans le volet financier de l'affaire Karachi, devait toucher en 2003 des commissions occultes d'un montant de 350 millions d'euros dans le cadre d'un marché d'armement avec l'Arabie saoudite, selon des documents comptables et des notes obtenus par Mediapart. Les fonds devaient être versés, sous l'autorité de Nicolas Sarkozy, via une société contrôlée par le ministère de l'intérieur.
 
Estimé à 7 milliards d'euros, le contrat «Saudi Border Guards Developpment Project», nom de code Miksa, avait pour objectif de sécuriser les frontières d'Arabie Saoudite. Une première tranche de ce marché a finalement été obtenue par EADS en juillet 2009. Dans sa version initiale, il comportait la livraison d'hélicoptères, d'avions, de radars, de systèmes de communication ultra-sophistiqués…

Des notes adressées par Ziad Takieddine au cabinet Sarkozy en 2003 et 2004 attestent que l'homme d'affaires était devenu l'architecte en chef de ce marché pour le ministre de l'intérieur.

En 2003, précisément à cette période, les proches de Nicolas Sarkozy, au premier rang desquels Brice Hortefeux, alors député européen et membre du cabinet du ministre, sont invités à grands frais par le marchand d'armes sur son yacht La Diva et dans sa villa du Cap d'Antibes, comme le prouvent des photographies publiées par Mediapart dimanche 10 juillet.

La signature par Nicolas Sarkozy de ce contrat d'armement mirifique a été empêchée in extremis, en 2004, par Jacques Chirac, dont l'entourage évoquait l'existence d'un montage visant à financer le camp sarkozyste. Un scénario que confirme aujourd'hui à Mediapart un ancien haut responsable de l'armement français.

Des soupçons de financement politique occulte valent aujourd'hui à Ziad Takieddine d'être dans le collimateur de la justice concernant la vente de sous-marins Agosta au Pakistan et de frégates Sawari 2 à l'Arabie Saoudite, conclues sous le gouvernement Balladur, fin 1994.

Le contrat Miksa, établi dans une première version en 1993, alors que Charles Pasqua est à l'intérieur, devient une priorité de Nicolas Sarkozy dès son arrivée à la tête de ce ministère, en 2002. Le futur président de la République écrit en ce sens, dès le 8 juillet 2002, une lettre à son homologue saoudien le prince Nayef.

En voici un extrait:

«Connaissant l'importance pour les autorités saoudiennes du contrôle des frontières du royaume, je tenais à confirmer à votre Altesse Royale, l'intérêt du gouvernement français  pour la réalisation du projet Saudi Border Guard Defence Program et à lui confirmer que celui-ci apportera sa garantie à la bonne exécution du contrat qui doit être signé entre le groupe Thalès, maître d'œuvre industriel, et le gouvernement saoudien. Le contrôle de la bonne exécution de ce contrat sera assurée par la société Civi-pol conseil, société de service et de conseil du ministère français de l'Intérieur. Je propose à votre Altesse Royale de signer avec Elle dès qu'Elle le souhaitera l'accord de coopération préparé par nos services.» 

Le contrat suivi par le cabinet du ministre de l'intérieur - Claude Guéant, Brice Hortefeux, et David Martinon, son conseiller diplomatique - n'est pas signé si facilement. En effet, la décision saoudienne nécessite, outre l'accord du prince Nayef, l'assentiment du futur roi Abdallah, alors le régent du royaume.

Ziad Takieddine entre dans la danse à l'automne 2003. Selon ses notes en notre possession, l'homme d'affaires rend compte à Claude Guéant et Brice Hortefeux et les accompagne sur place. Il définit les orientations de négociation et les éléments de langage des membres du cabinet Sarkozy, donne lui-même des directives et joue le rôle de courrier entre les dignitaires saoudiens et Nicolas Sarkozy. […]

Les silences de l'Elysée et de l'intérieur

Le 12 décembre 2003, ayant acquis la conviction que le contrat Miksa piloté par la place Beauvau masquait d'inavouables arrière-pensées, l'Elysée ordonne à Nicolas Sarkozy d'annuler son voyage prévu en Arabie saoudite, où il s'apprêtait à signer une version définitive du marché. Pire: Jacques Chirac a contraint le ministre de l'intérieur à se dessaisir du dossier.

C'est Michel Mazens, patron d'un autre office d'armement dédié aux ventes d'armes avec l'Arabie saoudite, la Sofresa, qui apporte cette mauvaise nouvelle au clan Sarkozy. Ce haut responsable de l'armement, déjà au cœur des querelles liés aux marchés Sawari 2 et Agosta, rencontre Claude Guéant.
«Jacques Chirac avait peur que Sarkozy s'empare de Miksa, confirme Michel Mazens à Mediapart. Je ne connaissais pas les motivations cachées du ministère, mais le président Chirac y voyait un danger lié au financement de la présidentielle de 2007. Sur ordre du président de la République, je suis allé prendre connaissance du dossier, dans le bureau de Claude Guéant, plusieurs samedis consécutifs. Ma conviction était que le ministère de l'intérieur n'avait pas les compétences industrielles pour négocier un tel contrat ».

Les contrats secrets de commissions ne sont pas présentés à l'envoyé du président. Ziad Takieddine rapporte deux réunions de Claude Guéant, l'une, le 8 janvier 2004, avec Jean-Paul Perrier de Thalès, l'autre, le 9 janvier 2004, avec Michel Mazens.Il écrit ainsi:

«Tout ceci a jeté un trouble sur les “accords” passés avec l'Arabie Saoudite à travers les contacts directs avec le prince Nayef. Ceux-ci ont besoin d'être confirmés. (…) Le paiement des commissions également. Le jeu de la Sofresa a certainement contribué à créer une atmosphère de doute sur la volonté de respecter ses engagements, notamment ceux qui ont été prix entre les deux ministres à travers les contacts directs établis depuis le mois de septembre ».

A la suite de l'oukaze chiraquienne, plusieurs messages confidentiels seront échangés, début 2004, entre le prince Nayef et Nicolas Sarkozy. Ziad Takieddine s'occupe de les transmettre. Ainsi, le 25 janvier 2004, le marchand d'armes rédige une note intitulée «Messages du prince Nayef Ben Abdel Aziz. A transmettre à Monsieur Nicolas Sarkozy».   

Le prince saoudien dit maintenir toute sa confiance à l'égard du ministre de l'intérieur pourtant fraîchement désavoué par l'Elysée: «Très informé de l'actualité politique en France, le Prince mesure parfaitement le rôle que joue le Ministre, et si vous me le permettez, Monsieur le Ministre, le rôle que vous jouerez à l'avenir».

«A ce titre, poursuit le message, le prince Nayef souhaite vous confirmer que le contrat industriel sera signé avec vous et vous seul. Il m'a demandé également de vous confirmer qu'au-delà de ce contrat, il tient à entretenir des relations à long terme avec vous (…) Le Prince Nayef apprécie le contact direct établi, ainsi que la qualité du dialogue avec vos émissaires. Ceci, pour la première fois, a permis de résoudre beaucoup de problèmes et d'incompréhensions».

Une semaine plus tard, le 1er février, une note de Ziad Takieddine fait état d'une «conversation téléphonique» de Nicolas Sarkozy avec le prince Nayef. Le premier au second: «Je voudrai vous transmettre également, encore une fois, mes excuses pour le report de ma visite au Royaume et vous confirmer que nous avons pu utiliser ce temps pour arriver aux solutions, qui répondent à vos souhaits exprimés, dans l'intérêt de nos deux pays». 

«J'ai appris, poursuit M. Sarkozy, que vous avez l'intention d'effectuer un séjour en dehors du Royaume prochainement. J'espère que j'aurai l'opportunité de vous visiter à titre privé lors de ce séjour, pour vous saluer et vous mettre au courant des derniers développements».

Contactés, ni l'Elysée ni le ministère de l'intérieur n'ont donné suite à nos sollicitations."


Sarkofrance 14/07/2011

"Qui est Ziad Takieddine ? Osez le qualifier de marchand d'armes et vous recevrez quelque menace d'avocat. Disons donc qu'il est l'intermédiaire très doué de certains dans quelques faramineux contrats, amis des mêmes et de quelques autres, et qu'il fréquente depuis bientôt 20 ans, une bonne partie du cercle proche de Nicolas Sarkozy.

En 1994, sans doute vers la fin de l'année, cet homme aurait été « imposé » par le gouvernement d'Edouard Balladur dans la vente de sous-marins français aux autorités pakistanaises. 

Pour rappel, en mai 2002, quinze personnes dont onze Français employés de la DCN étaient tués dans un attentat à Karachi. Sur le coup, on accusa les islamistes. Onze ans plus tard, cette hypothèse ne convainc plus grand monde. Grâce aux deux enquêtes menées d'une part par le juge Marc Trévidic (sur l'attentat), et, d'autre part, par les juges Le Loir et Van Ruymbeke (sur les rétro-commissions éventuelles), la piste d'une vengeance (pakistanaise ?) après l'interruption du versement des commissions clandestines aux intermédiaires du contra Agosta tient la corde. Cette dernière piste conduit à ... Ziad Takieddine. 

« Cet homme est une bombe à retardement pour le clan Sarkozy » écrivaient Fabrice Arfi et Karl Laske pour Mediapart le 10 juillet dernier. Et les deux journalistes livraient quelques incroyables révélations, complétées le 12 juillet par une seconde salve.

Ziad Takieddine est un ami du premier cercle, un proche du clan Sarkozy. Pour preuve, Médiapart a d'abord publié plusieurs photos privées montrant l'intermédiaire franco-libanais recevant sur ses yachts, dans sa villa d'Antibes ou chez lui à Paris Brice Hortefeux (« l'ami de trente ans ») et son épouse, Jean-François Copé et son épouse, Dominique Desseigne (patron du Fouquet's) ou Thierry Gaubert (ancien chef de cabinet de Sarkozy en 1995, puis proche collaborateur jusqu'en 2007). 

En 2003, Ziad Takieddine a même payé quelques prestations touristiques luxueuses à Jean-François Copé, avec ou sans son épouse (Londres, Venise, Beyrouth), alors que ce dernier était membre du gouvernement. Interrogé, Copé se défend : c'étaient des relations « strictement amicales » sans rapport avec son job de ministre... 
[...]
Ami et... fournisseur, Ziad Takieddine a reçu de grosses commissions en rémunération de son travail d'intermédiaire dans des ventes d'armes validées par le gouvernement Balladur.

Ainsi reconnaît-il avoir joué le rôle d'intermédiaire pour le contrat Sarawi II, la vente de frégates françaises à l'Arabie saoudite. Mediapart affirme que « M. Takieddine a reçu, entre 1997 et 1998, 91 millions d’euros pour la vente de frégates à l’Arabie Saoudite, validée en novembre 1994 par Nicolas Sarkozy en tant que ministre du budget ». Au total, sur ce contrat, Mediapart a trouvé trace de trois paiements de commissions pour un montant total de 235 millions d'euros, entre 1996 et 1998

Pour le contrat Agosta (cf. le Karachigate). Takieddine a été « ajouté » comme intermédiaire par le gouvernement Balladur quelques mois après la validation de l'exportation des sous-marins français vers le Pakistan par le ministre du Budget Nicolas Sarkozy.

Takieddine a travaillé sur le contrat Miksa. Bizarrement, cette négociation qui visait à équiper l'Arabie Saoudite en matériel de protection de ses frontières (7 milliards d'euros) n'était pas du ressort de la Défense mais ... du ministère de l'Intérieur dirigé par Nicolas Sarkozy. L'affaire fut stoppée en 2003 par Jacques Chirac. Jusqu'à lors, Brice Hortefeux et Claude Guéant la négociaient avec Ziad Takieddine.

Claude Guéant, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert... qui nous manque-t-il ? 

Toujours selon Mediapart, Takieddine a effectué pour 11,8 millions  d'euros de « paiements secrets » vers des sociétés offshore à partir de l'année 2003. Mediapart publie un extrait de comptes.

Les juges s'interrogent sur l'origine de 20 millions de francs (3 millions d'euros) en espèces identifiés dans les comptes de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995. Le trésorier René Galy-Dejean et d'autres témoins ont orienté les juges vers ... Brice Hortefeux et la « cellule meeting » qu'il dirigeait pendant la campagne. Hortefeux était déjà, à l'époque, proche conseiller de Nicolas Sarkozy.

A partir de 1998, Takieddine a également procédé à de belles acquisitions immobilières en France (hôtel particulier à paris, deux yachts, villa à Antibes). Selon Mediapart, « les seules dépenses relatives à l'entretien et à la gestion de ses résidences - Antibes et Paris, mais aussi Londres, et Beyrouth et Baakline au Liban - se sont élevées à 13,7 millions d'euros entre 2001 et 2008

Le patrimoine de Takieddine est estimé à 40 millions d'euros. Pour preuve, Mediapart publie une déclaration de patrimoine établie en 2008 pour l'obtention d'un prêt. Hors de France, ses biens dépassent les 40 millions d'euros.  

Pourtant, M. Takieddine, résident fiscal français, ne paye ni impôt sur le revenu ni ISF. Mediapart a publié ses avis d'imposition de 2002 à 2007, et de 2009. Les commissions sur les contrats mentionnés plus haut (91 millions d'euros sur Sarawi II, 235 millions d'euros sur la vente de frégates du contrat Sarawi II) ont été en fait placées dans des sociétés off-shore, explique le site d'information.

En mars dernier, il avait été interpelé à sa sortie d'avion, au Bourget, de retour de Libye avec deux journalistes français et quelque 1,5 million d'euros en espèce.

Entre novembre 2004 et mai 2007, Jean-François Copé était ministre du budget. Aucun contrôle fiscal n'a jamais rien donné. 

« Ce dossier complexe et explosif ne va pas se terminer rapidement et sera, à l’évidence, évoqué durant la campagne présidentielle » commentait hier la Tribune de Genève. Sans blague ?

Il ne nous manque plus qu'une photographie de Nicolas Sarkozy en compagnie de Ziad Takieddine.
Allez, Mediapart... un effort. 


ARTICLE A LIRE : 
Nouvelobs.com. Olivier Toscer 13/07/2011
"L'ancien ministre de l'Intérieur, aujourd'hui conseiller à l'Elysée et député européen, a été prévenu : la justice ne va pas tarder à lui poser des questions sur le rôle qu'il a joué dans le financement de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995. Les juges Renaud Van Ruymbecke et Roger Le Loire, qui enquêtent sur les éventuelles rétrocommissions dont aurait pu bénéficier l'ancien Premier ministre en marge de la vente de sous-marins français au Pakistan, l'ont inscrit sur leur agenda judiciaire. Les magistrats sont en effet convaincus que les 20 millions de francs (3 millions d'euros) en espèces, utilisés par le candidat il y a plus de quinze ans, ne sont pas issus des collectes réalisées auprès de militants, comme Edouard Balladur l'a toujours soutenu. Ni même des fonds secrets de Matignon, comme les proches de l'ancien candidat le laissent entendre. Les juges d'instruction veulent entendre Hortefeux sur deux points. D'abord sur les collectes auprès des militants. En 1995, dans son bureau du 6e étage du QG de campagne, Brice Hortefeux s'occupait en effet des meetings d'"oncle Edouard" . Peut-il justifier avoir récolté ainsi 3 millions d'euros, ce que les trésoriers officiels de la campagne démentent ?

Perquisition chez un ancien collaborateur

Deuxième sujet de curiosité : quelles relations Brice Hortefeux entretenait-il avec le libanais Ziad Takieddine, réputé avoir été le principal intermédiaire dans la vente des sous-marins Agosta au Pakistan en 1994 ? "Brice le connaît, mais sans plus", dit-on dans l'entourage de l'ancien ministre de l'Intérieur. Les juges veulent en savoir plus. Début juillet, ils ont perquisitionné le domicile de Thierry Gaubert, proche collaborateur de Brice Hortefeux au cabinet de Nicolas Sarkozy lorsque ce dernier était ministre du Budget entre 1993 et 1995. Une étape supplémentaire dans l'exploration des relations troubles entre Takieddine et la sarkozie."


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