mardi 19 juillet 2011

[revue de presse] - [103] - [17-19 juillet 2011]

DE COPE A PECRESSE : TAKIEDDINE UN PROTEGE FISCAL
Mediapart, François Bonnet 19/07/2011
"Depuis dix jours maintenant, Mediapart pose au ministère du budget une question simple. Ziad Takieddine, homme d'affaires millionnaire et marchand d'armes lié à plusieurs proches de Nicolas Sarkozy, respecte-t-il la loi fiscale ? Résident fiscal français, à la tête d'un patrimoine qu'il valorise lui-même à environ 100 millions d'euros, dont plus de 40 millions d'euros en France, n'a-t-il pas procédé à une vaste entreprise de dissimulation et de fraude fiscale pour échapper à l'impôt ?
Car comme nous l'avons publié le 12 juillet, M. Takieddine n'a pas payé d'impôt durant des années en France, où il réside et a l'essentiel de ses activités. Nos confrères Fabrice Arfi et Karl Laske l'ont établi dans leur enquête. De 2002 à 2007, puis au moins en 2009, le «montant net » de l'imposition de M. Takieddine s'est élevé à zéro ! Nous avons publié ses avis d'imposition, les revoici.

Enfin, nous révélions les informations suivantes : « Plusieurs inspecteurs et contrôleurs ont engagé des vérifications sur le contribuable Takieddine entre 2004 et 2005. Sans suite à ce jour. » Dans le même temps, et selon un tableau analytique de la comptabilité de M. Takieddine, les seules dépenses relatives à l'entretien et à la gestion de ses nombreuses résidences de luxe – Antibes et Paris, mais aussi Londres, et Beyrouth et Baakline au Liban – se sont élevées à 13,7 millions d'euros entre 2001 et 2008.

A la tête d'une fortune essentiellement constituée de commissions perçues sur des marchés d'Etat conclus à des périodes où M. Sarkozy et ses proches étaient au pouvoir, comment Ziad Takieddine est-il ainsi parvenu à échapper à l'impôt ? Devenu le suspect n°1 du volet financier de l'affaire Karachi, bénéficiaire de 91 millions d'euros de commissions lors de la vente par la France de frégates à l'Arabie saoudite en 1997 et 1998, chacun comprendra que sa situation fiscale n'est pas de l'ordre du privé mais relève directement de l'intérêt général.

 C'est pourtant, après un long silence, ce seul argument du « privé » qui est avancé par Jean-François Copé, ministre du budget de novembre 2004 à mai 2007, puis aujourd'hui par Valérie Pécresse pour ne pas répondre. Au moment où le secrétaire général de l'UMP, relayé par des ministres et des ténors du parti présidentiel, lance une grande campagne contre la fraude aux aides sociales (RSA, allocations familiales et indemnités chômage), il apparaît pour le moins légitime de s'assurer que l'égalité devant la loi fiscale s'applique également aux très grandes fortunes amies du pouvoir.

Vies privées, amitiés, responsabilités publiques

Interpellée lundi par Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste, Mme Pécresse a préféré botter en touche. Benoît Hamon avait simplement souhaité « des éclaircissements » sur la situation de cet homme d'affaires qui semble « disposer d'une situation fiscale qui, au regard de son patrimoine, surprend ». Que « Mme Pécresse, toute nouvelle ministre du budget, nous en dise un peu plus sur la situation de cet intermédiaire qui semble vivre grassement en France mais ne paie pas d'impôt chez nous ».

Réponse de la ministre par un bref communiqué : il lui est interdit « de divulguer toute information relative à la situation individuelle d'un contribuable (...) afin de protéger le droit au respect de la vie privée dû à tout citoyen ». Interrogé par Mediapart la semaine dernière, Jean-François Copé avait également refusé d'indiquer s'il avait eu connaissance d'investigations fiscales sur le marchand d'armes, ou d'éventuels soupçons de fraude fiscale.

«Qu'il en ait eu connaissance ou pas, il n'a pas de commentaire à faire, nous avait indiqué son secrétariat. En tant qu'ancien ministre du budget, la loi lui interdit d'évoquer la situation fiscale d'un particulier. Il pourrait être poursuivi pour violation d'un secret fiscal

L'argument est absolument fallacieux tant il est vrai que la demande porte sur un point général : le pouvoir peut-il assurer publiquement que M. Takieddine respecte la loi ? Et a-t-il usé des moyens nécessaires pour le vérifier ? Il ne s'agit pas là de vie privée mais d'un bien commun, l'égalité devant l'impôt.

Ces questions sont d'autant plus importantes que Jean-François Copé est de longue date un ami très proche du marchand d'armes. Nous avons raconté son séjour, en 2003, alors qu'il était déjà membre du gouvernement, dans la résidence somptueuse du millionnaire au cap d'Antibes (lire notre précédente enquête ici). Ses retrouvailles avec Brice Hortefeux sur le yacht de l'homme d'affaires. Ses voyages d'agrément, au Liban avec son épouse et ses enfants, et dans d'autres destinations, pris en charge par M. Takieddine, faveurs faites pour partie alors qu'il est au ministère du budget. M. Copé n'a ainsi pu ignorer l'ampleur de la fortune de son ami quand il se baignait dans la splendide piscine de la propriété du cap d'Antibes, pas plus qu'il ne pouvait ignorer son rôle clé d'intermédiaire financier dans de grands contrats.

Ce mélange de vies privées, d'amitiés et de responsabilités publiques oblige aux « éclaircissements » évoqués par Benoît Hamon. Et cela vaut tout autant pour Valérie Pécresse, qui a pris le mois dernier les importantes fonctions de ministre du budget alors que son nom avait surgi au cœur du scandale Bettencourt.

[...] 

Les enquêtes de Mediapart (déjà publiées et à venir) établissent le rôle central joué par M. Takieddine dans le premier cercle du président de la République jusqu'à aujourd'hui. Dans les jours prochains, nous expliquerons comment, après l'Arabie saoudite, la Libye, le régime Kadhafi et les mirobolants contrats convoités furent l'objet de toutes les attentions du premier cercle sarkozyste, dans un mélange de diplomatie secrète et d'ambitions affairistes. C'est aussi pour cela qu'après le silence obstiné de la ministre Valérie Pécresse, il est urgent que la représentation nationale et nos confrères se saisissent de cette affaire et prolongent le travail initié.


Le Post, Richard Trois 17/07/2011
"Ce 14 Juillet ? Une polémique inutile sur le défilé militaire. Des attaques abjectes, nauséabondes de la droite qui dans une course à l'échalote FN entre Guéant et Fillon n'a plus grand chose à envier à son extrême.

A peine le temps de se recueillir et de saluer les hommes et les femmes qui blessés ou tués servent la France.

Mais au final beaucoup de bruit... qui cache la forêt d'une nouvelle affaire du "règne" délétère de Nicolas Sarkozy. La veille du 14 juillet, MediaPart nous apprenait en effet, les liens étroits qui lient le clan Sarkozy à l'intermédiaire en contrat d'armement Ziad Takieddine. 

MediaPart décrit Ziad Takieddine comme le "principal suspect dans le volet financier de l’affaire Karachi", du nom de la ville où 14 personnes ont été tuées dans un attentat, dont 11 employés de la Direction des Constructions Navales. Un attentat que la Justice soupçonne aujourd'hui qu'il ait été motivé par le non-versement de commissions occultes.

[...] Le journal est en mesure d'affirmer, documents à l'appui, que Takieddine est devenu à partir de 2002 un conseiller occulte et un financier de l’ombre au cœur du Sarkozysme, de la conquête du pouvoir jusqu'à aujourd'hui.

Ces documents démontrent comment Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, s'est immiscé dans la conclusion d'un contrat d'armement avec l'Arabie Saoudite, le "Saudi Border Guards Development Program", au nom de code : Miksa, un marché est estimé à 7 milliards d’euros. Les conseillers de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant ont alors travaillé étroitement avec Ziad Takieddine... Jusqu'à ce que Jacques Chirac mette le holà à ce court-circuit.

MediaPart cite ainsi Michel Mazens, patron de la Sofresa, office armement dédié aux ventes d'armes avec l'Arabie saoudite :

"Jacques Chirac avait peur que Sarkozy s'empare de Miksa, confirme Michel Mazens à Mediapart. Je ne connaissais pas les motivations cachées du ministère, mais le président Chirac y voyait un danger lié au financement de la présidentielle de 2007. Sur ordre du président de la République, je suis allé prendre connaissance du dossier, dans le bureau de Claude Guéant, plusieurs samedis consécutifs. Ma conviction était que le ministère de l'Intérieur n'avait pas les compétences industrielles pour négocier un tel contrat."

On comprend aussi que Ziad Takieddine, furieux, après son arrestation en mars dernier à l'aéroport du Bourget avec une valise de 1,5 millions d'euros en liquide, a ainsi menacé de "faire sauter le gouvernement" lors d’une conversation téléphonique avec son ami Thierry Gaubert, ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy. Takieddine qui revenait de Libye en compagnie de deux journalistes du JDD ayant interviewés Mouammar Kadhafi, en a visiblement les moyens. Au point que l'on a plus de nouvelle de l'enquête des Douanes liée à l'arrestation de Ziad Takieddine.

Et cerise sur la gâteau, au moment où l'on est censé fêter l'égalité républicaine, MediaPart nous apprend, feuilles d'impôt à l'appui, que le sieur Ziad Takieddine ne paye pas un centime d'impôt sur le revenu ni sur la fortune malgré un patrimoine français, estimé de 40 millions d'euros...

Voilà qui relativise la polémique sur le défilé militaire. Nous constatons jour après jour dans notre quotidien le délabrement des piliers de la République française, que sont l'éducation, la santé, la sécurité. Mais le mal est encore plus profond comme en témoignent ces liens étroits entre le clan Sarkozy et Ziad Takieddine ou encore la manière dont un ministre, Claude Guéant s'en ait pris à l'une des plus haute juridiction de la République, la Cour des Comptes.

C'est dire si ce 14 juillet aurait dû être celui d'une large prise conscience sur l'état de notre République... en ruine."