mardi 28 décembre 2010

[revue de presse] - [89] - [19-29 décembre 2010]



Liberation
"Deux ex-de la DCN placés sous le statut de témoins assistés et un ancien de la DGSE qui évoque une intervention de l’Elysée, confirmant les informations de Libération: du nouveau dans la complexe enquête sur l’affaire Karachi.
Chargé d’un volet des investigations sur l’attentat de Karachi en 2002, Renaud Van Ruymbeke, a ainsi placé deux anciens responsables de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCN), sous le statut de témoins assistés. Comprendre: un statut intermédiaire entre ceux de simple témoin et de mis en examen. Il s’agit de Philippe Japiot, ancien président de la DCN International et Alex Fabarez, directeur général de la DCNI au moment de l’attentat, selon l’AFP, confirmant une information de France Inter.
Ils sont soupçonnés de ne pas avoir transmis à la justice des documents évoquant un possible lien entre l’attentat et l’arrêt des commissions versées dans le cadre de la signature de contrats d’armement avec le Pakistan en 1995 et l’attentat de Karachi, qui a tué 15 personnes en mai 2002, dont 11 salariés français de la DCN. Parmi ces documents, figure le rapport Nautilus, saisi en 2008 au siège de la DCNS (ancienne DCN), selon lequel l’arrêt des commissions, décrété après l’élection de Jacques Chirac à l’Elysée en 1995, «visait à assécher les réseaux de financement occultes de l’Association pour la Réforme», l’association de financement de la campagne électorale d’Edouard Balladur, suggérant le versement de rétro-commissions vers la France.
«Je ne connais pas le dossier Nautilus», se défend Philippe Japiot, interrogé, le 5 mai, par la mission d’information parlementaire sur Karachi. Aussi interrogé par les députés, en décembre 2009, Alex Fabarez a douté de l’hypotèse selon laquelle des intermédiaires mécontents auraient laissé passer plusieurs années entre l’arrêt de commissions et l’attentat, selon le rapport de la mission.

«Voir ce qu’il y a derrière tout ça»

Par ailleurs, un ancien membre de la DGSE (Direction générale des services extérieurs), Alain Juillet, a rapporté au juge Renaud Van Ruymbeke avoir été mandaté par l’Elysée en 2008 pour prendre contact avec Jean-Marie Boivin, témoin-clé de l’affaire Karachi,. Une confirmation des informations révélées par Libération le 25 novembre dernier..."


France2
"...Juillet était convaincu que Boivin avait des archives
M. Juillet, ancien membre de la Direction générale des services extérieurs (DGSE), a affirmé le 17 décembre au juge Van Ruymbeke avoir été contacté en juin 2008 par Bernard Delpit, à  l'époque collaborateur de François Pérol, ancien secrétaire général adjoint à l'Elysée, pour qu'il prenne attache avec M. Boivin.
M. Juillet, qui exerçait alors les fonctions de haut-responsable à  l'intelligence économique auprès de Matignon, a ainsi rencontré M. Boivin à trois reprises, à Londres, entre septembre 2008 et mai 2009.
"J'étais convaincu qu'il (M. Boivin) avait des archives et qu'il valait mieux les récupérer et négocier avec lui une indemnité de départ raisonnable", a expliqué M. Juillet.
 Lors de leurs différentes rencontres à Londres, M. Boivin "a surtout parlé de Karachi", a assuré l'émissaire de l'Elysée. "C'est le premier que j'ai entendu dire que l'attentat était lié à l'arrêt du versement des commissions. Pour lui, c'était une évidence", a ajouté M. Juillet, 68 ans.
 Celui-ci a précisé au juge Van Ruymbeke avoir pris avec des pincettes les affirmations de son interlocuteur : "Quand on l'écoutait, on a l'impression qu'il savait tout. Mais quand on lui posait des questions précises, c'était totalement flou", a poursuivi M. Juillet.
"La cerise sur le gâteau, c'est que j'ai reçu, il y a un mois et demi, une lettre de Suisse m'informant que M. Boivin avait remis toutes les pièces à un représentant de la DCN", ajoute M. Juillet, laissant entendre que M. Boivin aurait renoncé à une partie des documents qu'il affirmait détenir dans un coffre en Suisse.


Anticor
"L’association Anticor a décidé lors de son Conseil d’Administration du 2 décembre 2010, par l’intermédiaire de son Conseil Maître Jérôme KARSENTI du barreau du Val de Marne, de se constituer partie civile dans le cadre de l’information judicaire ouverte chez le juge Van Ruymbeke à la suite de l’attentat de Karachi notamment pour les faits de corruption active et passive relatifs aux contrats d’armement.
L’association estime en effet, que les révélations de ce dossier mettent en évidence l’importance structurelle de la corruption dans le fonctionnement de l’Etat et ce jusqu’à son plus haut niveau. La gravité des faits dénoncés ne peut échapper à personne, tant elle démontre, que les plus hautes autorités de l’Etat ont utilisé les prérogatives du pouvoir qui leur étaient démocratiquement confiées par les citoyens, pour satisfaire contre l’intérêt général, contre l’intérêt économique, des intérêts partisans et personnels.
L’association Anticor espère que le pouvoir en place, usant de son bras armé judiciaire le parquet, ne tentera pas par des manœuvres de procédure, de diviser de manière artificielle un dossier qui a sa cohérence propre.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’association Anticor estime de son devoir impérieux de contribuer à permettre l’aboutissement de la vérité. »


SarkoFrance
"...De nouvelles informations, une succession de courriers, d'extraits d'audition ou de contrats, ont été publiés par France Inter jeudi 23 décembre. Le journaliste Benoit Collombat révèle notamment, documents à l'appui, que les services juridiques de la branche commerciale de la Direction des constructions navales (DCNI) se sont inquiétés de savoir, fin 2000 et début 2001, si le non-versement des 15% de commissions occultes dues sur le contrat Agosta, décidé par Jacques Chirac en 1996, pouvait poser problème vis-à-vis des intermédiaires. Pourquoi ? Trois faits troublaient la direction de la DCNI : les intermédiaires concernés ne réclamaient rien, le contrat original n'était plus en leur possession, alors que les autorités françaises avaient mentionné l'existence de rétro-commissions.

Or, une convention de l'OCDE avait rendu illégale, à compter de septembre 2000, ce type de commissions versées à des intermédiaires pour faciliter la vente de matériel, en l'occurrence militaire.

Le journaliste fait notamment état de quatre documents

1. En juillet 2000, dans une note intitulée « Consultancy Agreement 12 juillet 1994. Reprise de provision », adressée à la direction juridique de la DCNI, on peut lire cette troublante confirmation des déclarations de Dominique de Villepin et Charles Millon voici 3 semaines devant les juges: « en juillet 1996 les paiements [de commissions] sont bloqués sur instructions des autorités françaises faisant état de retours illicites de tout ou partie des commissions en France. » Nicolas Sarkozy, lors du sommet de Lisbonne, s'était étonné de ces accusations de rétro-commissions qu'il assimilait à des rumeurs. 

2. Le 30 août 2000, un conseiller juridique, Guy Robin, écrit au directeur de la DCNI sur l’« analyse de l’Accord M», désignant un Consultant et une société, Mercor Finances, enregistrée au Panama, l'un des destinataires de commissions occultes du contrat Agosta. Il souligne que le Consultant ne s'est pas manifesté depuis l'arrêt des versements 4 ans plus tôt. Mais il s'interroge surtout sur la réalité du contrat : « L’accord n’a pas clairement et précisément défini les obligations contractuelles pesant sur le Consultant. » Et il souligne son « doute quant à la réciprocité réelle des obligations entre les Parties et, plus particulièrement, quant à la réalité des prestations d’informations et d’assistance venant en contrepartie de la rémunération. » En d'autres termes, le conseiller juridique de la DCNI dénonce explicitement le caractère fictif du contrat de commission. 

3. Le 18 janvier 2001, le même Guy Robin écrit à l’avocat Eric Ginter, du cabinet Gide-Loyrette-Nouel, qui conseillait alors la DCNI. Il s'inquiète à nouveau de « la conduite à tenir vis-à-vis de ce consultant sur le plan strictement juridique et sur le traitement tant comptable que fiscal à réserver au solde des sommes qui ont été provisionnées. » Autrement dit, la DCNI s'inquiète toujours des conséquences éventuelles de l'arrêt du versement des commissions. Rappelons la thèse défendue par Dominique de Villepin, selon laquelle le lien entre cet arrêt et l'attentat est inexistant. Vraiment ?

4. Le 24 janvier 2001, dans un autre courrier à la direction de la DCNI, Guy Robin explique qu'il considère que l'interdiction de versement de commissions, désormais effective, constitue « un argument juridique suffisamment fort pour mettre un terme à l’accord de consultance en question du fait de sa violation à l’ordre public français et, plus particulièrement, à la loi pénale française. »

Benoit Collombat fait également état de certaines auditions menées par le juge Marc Trévidic auprès de trois dirigeants de la DCNI en 2009 et 2010 :  Guy Robin  (directeur juridique), Emmanuel Aris (directeur international), et Gérard-Philippe Ménayas (directeur financier). Selon ces témoignages troublants :

1. La société Heine, dirigée par Jean-Marie Boivin, et dont la création a été validée par le ministre du Budget Nicolas Sarkozy en 1994, a servi à faire transiter les quelques 33 millions d'euros de commissions, de la DCNI vers des « petites banques régionales », « pour des raisons de discrétion.»

2. Le fameux contrat de consultant, par lequel Ziad Takiedine a perçu des commissions malgré un rôle imprécis dans la vente des sous-marins serait stocké dans le coffre d'un notaire en Suisse : « le 22 septembre 2000, le PDG de DCNI, Dominique Castallan envoie un courrier au notaire suisse, Maître Pierre Natural, censé détenir l’original de ce fameux contrat de consultant », dans lequel il fait état d'un « accord transactionnel » signé par la DCNI en faveur du consultant.

Au passage, quelques noms surgissent ici ou là dans ces révélations : Eric Ginter, à l'époque avocat de la DCNI, est actuellement avocat du frère de l'émir du Qatar, Abdallah Ben Abdallah Al-Thani. Son cabinet de l'époque, Gide-Loyrette, fut le même qui, de 2007 à 2010, a embauché Jean-François Copé, actuel secrétaire général de l'UMP. 

Le monde est petit. Très petit.

Jeudi 23 décembre, Mediapart révélait que l'Elysée avait commandé, en 2008 et 2009, une mission secrète pour « négocier avec l'ancien dirigeant d'une société écran de la Direction des constructions navales (DCN) ». L'information est tirée du témoignage de l'ancien numéro deux de la DGSE, le service de contre-espionnage français, auprès du juge Renaud Van Ruymbeke. Alain Juillet, à l'époque, travaillait à Matignon :  
«Début juin 2008, Bernard Delpit, adjoint de François Pérol à l'Elysée (M. Pérol était alors secrétaire général adjoint de la présidence, NDLR) me téléphone et me dit: "On a un problème. Quelqu'un nous a écrit en nous demandant des indemnités très importantes. Est-ce que vous pouvez voir ce qu'il y a derrière tout cela ?"»
Ce quelqu'un est Jean-Marie Boivin. Il y a 3 semaines, on a appris que ce Boivin avait écrit à plusieurs reprises à Nicolas Sarkozy, jusqu'à lui faire suivre, le 16 mai 2007, jour de son intronisation, la copie d'une facture de 8 millions d'euros pour « services rendus. » Dix-huit mois plus tard, le 24 janvier 2009, un protocole d'accord était conclu, attribuant effectivement 8 millions d'euros à Jean-Marie Boivin.

Alain Juillet explique ce qu'il découvre, après ses 3 rencontres officieuses avec Boivin: « dans la société Heine, il y avait des quantités de mouvements financiers». Et : « Je pensais qu'il n'était pas de l'intérêt général que toutes ces histoires sortent dans les médias luxembourgeois ou ailleurs, même si à l'époque ces commissions étaient légales ». Soyons précis : Alain Juillet mentionne que les commissions, à l'époque, étaient légales. Il ne s'agirait donc pas de rétro-commissions selon lui. Selon lui, il lui semblait « légitime » d'indemniser Boivin de 2,5 à 3 millions d'euros. Il détailla au juge Van Ruymbeke toutes ses démarches de négociations pour convaincre Jean-Marie Boivin que 3 millions d'euros étaient une indemnité largement suffisante. Sa mission terminée, Juillet quitta un peu plus tard Matignon.

En janvier 2009, Boivin reçut effectivement une indemnité. Elle ne fut pas de 3 mais de 8 millions d'euros, l'exact montant qu'il réclamait depuis le début. La réaction de Juillet, devant le juge, est une évident surprise : « «Je n'en suis pas revenu, pour moi ce n'était pas possible (...) Si on lui a payé 8 millions, comme le disent les journaux, c'est qu'il y a des choses qui m'ont échappé.» Mieux, il explique même que Boivin, selon ses informations, aurait depuis remis toutes ses archives compromettantes à l'Elysée. 

Résumons-nous :

1. Finalement, la thèse d'un lien entre l'arrêt des versements de commissions à certains intermédiaires non pakistanais refait surface.

2. L'Elysée a fait enquêter, pour négocier un « accord du silence » avec l'un des hommes clés de cette affaire de Karachi, Jean-Marie Boivin, à l'exacte même période où Nicolas Sarkozy qualifiait de fable la thèse d'un lien entre ces commissions occultes et l'attentat de Karachi."

Article connexe :